Comprendre et atténuer les effets de l'ombrage dans les installations photovoltaïques

L'ombrage est un défi majeur dans la conception et l'installation de systèmes photovoltaïques. Les installations résidentielles en France subissent typiquement des pertes de production de 5 à 25 % dues à l'ombrage, selon sa sévérité et la configuration du système. En tant que professionnel de l'installation solaire, il est crucial de comprendre les mécanismes de l'ombrage, ses sources et les solutions pour en minimiser l'impact.
Mécanisme de l'effet d'ombrage
Principe fondamental
Les panneaux solaires convertissent la lumière du soleil en électricité grâce à l'effet photovoltaïque. Chaque cellule solaire produit un courant électrique lorsqu'elle est exposée à la lumière. Dans un panneau, les cellules sont généralement connectées en série, créant ainsi une interdépendance entre elles.
Impact sur le courant électrique
Le courant traverse toutes les cellules en série, et la cellule la plus faible, souvent celle qui est ombragée, devient un goulot d'étranglement. Imaginez le courant électrique comme un débit d'eau dans un tuyau : si une section du tuyau est rétrécie à cause d'un ombrage, le débit total est affecté, même si le reste du tuyau est intact.
Ainsi, une seule cellule ombragée peut réduire la performance de tout le panneau, voire de la chaîne entière de panneaux. Les pertes ne sont pas proportionnelles à la surface ombragée : un ombrage affectant seulement 2 % de la surface d'un module peut entraîner une réduction de production allant jusqu'à 13,4 % avec un onduleur string traditionnel.
Formation de points chauds
L'ombrage partiel peut provoquer des points chauds où les températures peuvent atteindre 100 à 150°C, contre 45 à 60°C en fonctionnement normal. Ces températures élevées accélèrent la dégradation des cellules et peuvent réduire la durée de vie du panneau. Les cellules ombragées, incapables de générer du courant, se comportent comme des résistances et dissipent de l'énergie sous forme de chaleur plutôt que d'en produire.
Sources d'ombrage
Ombrage environnemental
Bâtiments
Leur hauteur et leur distance influencent l'ombrage. Cet impact varie selon la position du soleil au fil des saisons, étant plus critique en hiver lorsque le soleil est bas sur l'horizon. À Paris, avec 1 421 kWh/m²/an d'irradiation, chaque heure d'ombrage a un impact économique significatif sur la production annuelle.
Arbres
Les arbres provoquent un ombrage variable selon les saisons. Les feuillus offrent un ombrage estival avec une transmission lumineuse réduite, tandis que les conifères peuvent ombrager toute l'année. La croissance des arbres doit être prise en compte lors de la planification : un arbre de 5 mètres aujourd'hui peut atteindre 10 mètres en 15 ans et créer un ombrage non anticipé.
Auto-ombrage
Entre rangées de panneaux
Un espacement insuffisant entre les rangées peut provoquer un ombrage mutuel, surtout le matin et le soir. Pour les installations au sol, la formule de référence est : distance (d) = (hauteur du module × cos β) / tan(γ_s), où β est l'angle d'inclinaison et γ_s l'élévation solaire au solstice d'hiver. Un ratio de couverture au sol (GCR) entre 0,33 et 0,45 est généralement recommandé pour équilibrer l'utilisation du terrain et les pertes d'ombrage.
Ombrage d'horizon
Relief environnant
Dans les zones montagneuses ou vallonnées, le relief peut bloquer le soleil à certaines périodes de la journée. L'écart d'irradiation entre le nord (Nord-Pas-de-Calais : 1 089 kWh/m²/an) et le sud de la France (PACA : 1 645 kWh/m²/an) représente environ 50 % de différence, rendant chaque perte d'ombrage proportionnellement plus critique dans les régions moins ensoleillées.
Pourquoi l'ombrage a-t-il un impact si important ?
L'ombrage affecte non seulement la cellule concernée mais peut compromettre la performance de tout le système. Les études montrent que les pertes électriques dues à l'ombrage peuvent égaler ou dépasser les pertes géométriques : un facteur d'ombrage géométrique de 3 % peut entraîner 2 à 6 % de pertes supplémentaires dues au désappariement électrique, selon la configuration des diodes de dérivation et l'architecture des chaînes.
Les cellules ombragées limitent le courant de la chaîne, provoquent des pertes de puissance et peuvent générer des points chauds qui endommagent les panneaux. De plus, l'ombrage partiel force les cellules ombragées à fonctionner en polarisation inverse, dissipant la puissance produite par les cellules non ombragées de la même chaîne.
Solutions techniques pour réduire l'impact de l'ombrage
Optimisation des chaînes (stringing)
En regroupant les modules selon leur exposition et en isolant les modules ombragés dans des chaînes dédiées, on peut minimiser l'impact de l'ombrage. La reconfiguration saisonnière des chaînes peut améliorer les performances jusqu'à 4,6 % en hiver, selon les recherches publiées dans IET Renewable Power Generation. Cette méthode simple et peu coûteuse nécessite une conception minutieuse et est plus efficace pour les ombrages statiques.
La configuration Total Cross-Tied (TCT) offre des performances supérieures sous ombrage partiel en distribuant uniformément les effets sur l'ensemble du réseau et en réduisant le désappariement de courant entre les chaînes parallèles.
Diodes de dérivation (bypass diodes)
Intégrées dans les panneaux, les diodes de dérivation créent un chemin alternatif pour le courant lorsque des cellules sont ombragées. Elles divisent généralement le panneau en trois sections indépendantes de 20 cellules chacune, permettant au courant de contourner les zones affectées.
Efficacité mesurée des diodes de dérivation :
- Sous ombrage léger (7 % annuel) : amélioration de 3,7 à 4,0 %
- Sous ombrage modéré (19 % annuel) : amélioration de 7,8 à 8,0 %
- Sous ombrage important (25 % annuel) : amélioration de 12,3 à 12,6 %
Bien que cette solution soit passive et efficace pour éviter les points chauds, elle entraîne une perte de production proportionnelle à la section contournée et ne récupère que 45 à 55 % des pertes d'ombrage selon le rapport technique NREL TP-5200-54876.
Les diodes fonctionnent avec un seuil de tension de 0,4 à 0,7 V (diodes Schottky à 0,4 V, diodes PN à 0,7 V). Les panneaux modernes à cellules divisées utilisent 6 groupes pour optimiser la protection plutôt que 3.
Électronique au niveau du module (MLPEs)
Les solutions d'électronique au niveau du module offrent des gains de performance significativement supérieurs aux diodes de dérivation traditionnelles :
Optimiseurs DC (ex: SolarEdge, Tigo)
Les optimiseurs DC réalisent un suivi du point de puissance maximale (MPPT) individuel pour chaque module.
Performances documentées de SolarEdge :
- Sous ombrage léger : augmentation de 12 à 15 %
- Sous ombrage important : augmentation de 25 à 35 %
- Efficacité pondérée : 99,5 %
Les optimiseurs Tigo offrent l'avantage d'un déploiement sélectif : ils peuvent être installés uniquement sur les panneaux ombragés plutôt que sur l'ensemble du réseau, réduisant ainsi le coût total du système. Les études indiquent des améliorations de 3 à 8 % selon les conditions.
Micro-onduleurs (ex: Enphase, APsystems)
Les micro-onduleurs convertissent le courant continu en alternatif au niveau de chaque module, éliminant les pertes de désappariement entre modules.
Performances d'Enphase IQ8 :
- Efficacité de pointe : 97,5 %
- Augmentation de production : 5 à 25 % selon la sévérité de l'ombrage
- Taux de défaillance sur le terrain : seulement 0,05 % annuellement
- Durée de vie moyenne : plus de 600 ans entre les défaillances
Une étude de cas britannique sur des bâtiments NHS avec ombrage considérable a documenté 40 % de production de plus que les prévisions initiales, démontrant l'efficacité de la technologie dans des conditions européennes difficiles.
Coûts et ROI en France (2024-2025) :
- Micro-onduleurs : 168 à 250 € par unité (ex: Enphase IQ8AC à 168-200 €)
- Optimiseurs : 50 à 150 € par unité (typiquement 100 €) + onduleur central (800-1 900 €)
- Surcoût total pour système 6 kW : 1 200 à 3 000 € selon la solution
- Garanties : 25 ans pour les micro-onduleurs (correspondant à la durée de vie des panneaux)
L'investissement dans les MLPEs devient économiquement justifié lorsque les pertes d'ombrage dépassent 15 à 20 % sans mitigation, avec un retour sur investissement attendu sur 10 à 15 ans pour les ombrages modérés.
Pour une analyse détaillée des différentes solutions d'onduleurs et leur impact sur la gestion de l'ombrage, consultez notre guide complet sur le choix des onduleurs photovoltaïques.
Comment évaluer l'impact de l'ombrage ?
Une évaluation précise de l'ombrage est essentielle pour optimiser la conception et la performance des installations photovoltaïques.
Outils et méthodes d'analyse
Études sur site
- Solar Pathfinder : Utilise un dôme convexe transparent réfléchissant les obstacles environnants sur une vue panoramique de 360°. Fonctionne par tous temps et à tout moment de la journée. Combiné au logiciel Pathfinder Assistant et aux données météo TMY2, il calcule les pourcentages d'accès solaire avec des résultats fiables.
- SunEye (Solmetric) : Emploie la photographie fisheye numérique avec des objectifs calibrés à 180° de champ de vision. Les études de validation NREL ont trouvé que les valeurs SunEye sont statistiquement équivalentes aux mesures sur site à ±2 % dans 80 % des cas.
Logiciels de simulation
Des logiciels comme PVsyst ou PV*SOL permettent de modéliser en 3D l'environnement du site et de simuler l'impact de l'ombrage tout au long de l'année.
PVsyst offre deux modes de calcul : mode rapide utilisant des tables de facteurs d'ombrage pré-calculées avec une résolution de 10° × 20°, et mode lent effectuant des calculs en temps réel à chaque étape de simulation pour une précision maximale. Son outil Module Layout implique une modélisation électrique détaillée basée sur les courbes I-V au niveau des sous-modules. Les études de validation comparative montrent une erreur de biais moyen typiquement inférieure à 2 % avec un RMSE de 5 à 15 %.
PV*SOL de Valentin Software utilise un calcul basé sur des objets 3D avec visualisation de l'ombrage en temps réel et animation du parcours solaire. Le système génère des cartes de distribution de fréquence d'ombrage montrant la réduction annuelle d'irradiation directe en pourcentages codés par couleur.
Données 3D et LIDAR
L'utilisation de données LIDAR (Light Detection and Ranging) permet de reconstruire l'environnement en 3D avec une grande précision. Le LIDAR utilise des impulsions laser depuis des plateformes aériennes pour générer des données de nuages de points 3D de la géométrie des bâtiments, hauteurs d'arbres et élévation du terrain.
La recherche publiée dans Applied Energy (2017) a comparé le LIDAR haute résolution (6-8 points/m²) atteignant 94,8 % de précision dans l'identification des types de toits, contre le LIDAR basse résolution (0,5-1 points/m²) atteignant 78-86 % de précision. La validation NREL a démontré que l'analyse d'ombrage basée sur LIDAR produit des résultats dans les 3,5 % des mesures sur site tout en générant des rapports d'ombre en moins de 15 minutes.
Vesta : une solution avancée pour l'analyse de l'ombrage
Vesta est un logiciel de dimensionnement photovoltaïque qui utilise des données LIDAR pour reconstruire automatiquement le bâtiment et son environnement en 3D. Le moteur d'ombrage LIDAR de Vesta prend des lectures tous les 15 cm sur les toits et toutes les 15 minutes tout au long de l'année, capturant les structures et la végétation dans un rayon de 100 à 300 mètres du site.
Grâce à cette technologie, il peut prendre en compte tous les ombrages, qu'ils soient proches (arbres, bâtiments) ou lointains (collines, reliefs environnants), avec une grande précision. Sur environ 90 % du territoire français, les données LIDAR sont suffisamment détaillées pour permettre une analyse fiable de l'ombrage.
L'utilisation de Vesta facilite grandement la planification et l'optimisation des installations en intégrant automatiquement les contraintes d'ombrage dès la phase de conception, éliminant le besoin de visites de site pour l'évaluation de l'ombrage tout en fournissant des évaluations objectives et reproductibles.
Analyse comparative des performances
Étude de cas : système de 3,12 kW en Île-de-France
Conditions : Présence d'arbres à proximité provoquant un ombrage partiel régulier.
Résultats :
- Système standard : Production annuelle de 2 500 kWh
- Avec micro-onduleurs : Augmentation de 17 %, soit 2 925 kWh/an (+425 kWh)
- Avec optimiseurs : Augmentation similaire de 17 %, soit 2 925 kWh/an (+425 kWh)
Analyse économique :
- Valeur de la production supplémentaire : 96 € par an (à 0,227 €/kWh, tarif 2023)
- Surcoût initial des MLPEs : 1 500 à 2 500 € pour un système de 3 kW
- Période de retour sur investissement : 15 à 26 ans sur la prime technologique uniquement
- Important : Cette analyse ne prend pas en compte la dépréciation de la production d'un système standard au fil du temps due aux points chauds, ni l'augmentation probable du prix de l'électricité qui améliorerait le ROI
Le surcoût initial des MLPEs est compensé par les gains de production sur la durée de vie du système de 25 ans, surtout compte tenu de l'évolution attendue des prix de l'électricité avec la transition énergétique.
Recommandations pratiques pour les installations
Étapes d'évaluation
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Analyse du site :
- Réaliser une étude d'ombrage sur 12 mois complète
- Cartographier les obstacles existants et anticiper la croissance de la végétation
- Modéliser le site en 3D en utilisant des outils comme Vesta pour une précision optimale, particulièrement dans les zones avec données LIDAR disponibles
-
Quantification de l'impact :
- Calculer le facteur d'ombrage géométrique
- Estimer les pertes électriques additionnelles (désappariement)
- Évaluer l'impact économique à l'échelle du système
-
Choix technologique :
- Sélectionner la solution adaptée en fonction du type d'ombrage (statique vs dynamique)
- Prendre en compte les contraintes budgétaires et les exigences de maintenance
- Privilégier les MLPEs lorsque les pertes d'ombrage dépassent 15 à 20 %
Optimisation de la conception
Placement des panneaux :
- Éviter les zones d'ombrage permanent identifiées lors de l'analyse
- Optimiser l'orientation et l'inclinaison pour maximiser l'irradiation annuelle
- Prévoir un espacement adéquat entre les rangées (GCR de 0,33 à 0,45)
- Pour les installations au sol, calculer la distance minimale avec la formule du solstice d'hiver
Configuration électrique :
- Choisir le type de connexion approprié (Total Cross-Tied recommandé sous ombrage partiel)
- Dimensionner correctement le système avec des onduleurs disposant de plusieurs canaux MPPT
- Intégrer les solutions anti-ombrage dès la conception
- Isoler les modules ombragés dans des chaînes dédiées lorsque possible
Maintenance préventive :
- Programmer des inspections thermographiques régulières conformes à la norme IEC/TS 62446-3
- Vérifier l'état des diodes de dérivation et des boîtes de jonction
- Surveiller la croissance de la végétation à proximité
- Documenter les performances pour identifier les dégradations liées à l'ombrage
Conformité réglementaire et normes
Les installations photovoltaïques en France doivent respecter un cadre normatif complet qui intègre les considérations d'ombrage :
Normes françaises
- NF C 15-100 : Norme régissant les installations électriques basse tension, mise à jour en août 2024 avec dispositions spécifiques pour les installations PV
- UTE C 15-712-1 (juillet 2013) : Guide officiel français pour les systèmes connectés au réseau, établissant les exigences de dimensionnement tenant compte des effets d'ombrage
- XP C 15-712-3 (mai 2019) : Installations avec stockage d'énergie
Normes européennes IEC
- IEC 61853 : Mesures de performance sous diverses conditions d'irradiance et température, essentiel pour l'évaluation de l'impact de l'ombrage
- IEC 61215 : Qualification de conception incluant des tests de points chauds pour évaluer le comportement des modules sous ombrage partiel
- IEC 62446 : Exigences de tests, documentation et maintenance, incluant l'inspection thermographique (IEC/TS 62446-3) pour la détection de l'ombrage
Certification professionnelle
Les installateurs doivent posséder la certification QualiPV RGE pour que les clients puissent accéder aux aides publiques. La Charte Qualité en 10 points de Qualit'EnR exige une évaluation appropriée du site incluant l'analyse de l'ombrage.
Conclusion
L'ombrage peut avoir un impact significatif sur la performance des installations photovoltaïques, avec des pertes typiques de 5 à 25 % pour les systèmes résidentiels en France. Cependant, des solutions technologiques avancées permettent aujourd'hui de récupérer 70 à 85 % de ces pertes.
Les diodes de dérivation standard récupèrent 45 à 55 % des pertes d'ombrage, tandis que les électroniques au niveau du module (optimiseurs et micro-onduleurs) atteignent 12 à 35 % d'amélioration de production selon la sévérité de l'ombrage. Ces technologies justifient leur surcoût de 10 à 20 % lorsque les pertes d'ombrage dépassent 15 à 20 %.
En combinant une analyse approfondie du site avec des outils modernes comme les données LIDAR intégrées à Vesta, une conception optimisée des chaînes électriques et l'utilisation de technologies adaptées, il est possible de maximiser la production d'énergie même dans des conditions d'ombrage difficiles.
Les disparités d'irradiation en France (1 089 kWh/m²/an dans le nord contre 1 645 kWh/m²/an dans le sud) rendent chaque point de pourcentage d'ombrage proportionnellement plus critique dans les régions moins ensoleillées. Une évaluation précise et des solutions techniques appropriées sont donc essentielles pour garantir la rentabilité et la performance à long terme des installations.
En tant que professionnel, rester informé des avancées technologiques et des meilleures pratiques tout en respectant les normes françaises (NF C 15-100, UTE C 15-712) et européennes (IEC 61853, IEC 62446) vous permet d'offrir des solutions efficaces et pérennes à vos clients.

